Le vitrail au XXe siècle

Dès 1920

Des Ateliers d’Art sacré, tels ceux de Maurice Denis et Georges Desvallières, vont s’opposer au vitrail commercial et redonner au vitrail religieux un nouveau souffle. Le vitrail civil participera à ce nouvel élan avec l’introduction de nouvelles techniques (modelage à chaud de dalles de verre, thermoformage, assemblages de verre avec la pierre ou le métal, utilisation de nouveaux verres (verre imprimé, verre en relief, verre américain…).

Le vitrail de création à la fin du XXe siècle

Le débat qui a conduit tout au long du XXe siècle une bonne part des réflexions sur l’art du vitrail moderne, était centré sur la question : vitrail de verrier ou vitrail de peintre ?
Cette manière de voir, qui n’est en rien surprenante dans un pays où le vitrail est resté cantonné à l’atelier du verrier, a été, tout compte fait, plutôt féconde.

En effet, les nombreuses expériences qui ont marqué les programmes de commande se voulaient le plus souvent d’abord une réponse à l’un ou l’autre parti, une démonstration du bien-fondé des a priori concernant les moyens de la création.

Les hésitations et les revirements ont finalement démontré que le vitrail se situait au-delà de cette alternative, comme un art qui doit faire ses preuves dans l’édifice, dont la réussite est dans l’amplification de la substance de l’espace bâti, non dans la manifestation d’une technique particulière ou l’exaltation d’un prétendu savoir-faire historique.

Les années d’après-guerre commencent par une rupture majeure sur fond de querelle récurrente du statut de l’image : Manessier crée un vitrail de peintre sans peinture. Le travail de l’artiste avec la lumière en rayonnement direct déborde la simple composition colorée et impose une vision monumentale de l’œuvre. Le volume de la lumière, sculpté à l’intérieur de l’édifice et diffusé par les verres, est pensé comme une création vivante dans l’espace et dans le temps. Le matériau mis en œuvre, qui constitue en lui-même le substratum porteur de l’expression, doit se charger de la marque de l’expérience intérieure, de l’émotion du contact avec la matière vivante.
La restriction des moyens de l’expression se réfère à une conception toute franciscaine et médiévale de l’épiphanie de la lumière comme rencontre entre deux lumières, celle du monde physique et celle de l’esprit, de la conscience. Le verre n’est cependant pas vénéré pour lui-même, mais pour sa faculté de manifester l’être de la chose représentée, de servir la perception sensible de cette lumière.

À la suite d’Alfred Manessier, les « compartimentistes » feront école et, pour la plupart d’entre eux, créeront dans la sobriété des moyens d’expression, l’absence de gestes forts, des ambiances pondérées, rendues plus sensibles pour certains par un choix de couleurs mesuré. La simplicité du procédé de mise en œuvre aura aussi son revers dans la mesure où il conduira vers une prolifération de productions sans énoncé pictural bien défini, qui vont envahir la plupart des édifices, ne laissant pas la moindre fenêtre sans vitrage revendiquant l’authenticité du message à travers la réussite du tour manuel. À telle enseigne qu’aujourd’hui encore, le seul fait de sertir des morceaux de verre dans du plomb suffit pour bien des publics à conférer un statut d’œuvre à l’objet confectionné.

Ces pratiques réductionnistes ne seront pas sans influencer le travail traditionnel de l’art du peintre-verrier. Si le geste pictural reste très prisé, il se verra dominé par des règles de composition, certes aptes à mettre en valeur les matières, mais jugulant toute tentative d’échappée subjectiviste.
Jusqu’au milieu des années 60, les créations de vitraux dans les grands édifices, les cathédrales entre autres, sont confiées à des ateliers importants, héritiers de plusieurs générations de verriers : Lorin, Simon, Bony, J. Le Chevallier, Barillet, Gruber. L’écriture assimilera avec plus ou moins de bonheur les découvertes de la peinture et le parti pris général de l’abstraction. L’administration des Monuments historiques veille à ce que l’esprit général du bâtiment soit respecté. La composition moderne doit s’intégrer dans le contexte ancien, dans le respect et la discrétion. Des créations retenues et effacées auxquelles le travail artisanal donnait une sorte de garantie de conformité pour tous les cas de figure architecturaux, une grille de lecture suffisante pour ne jamais risquer de s’interroger sur la place de l’œuvre de création dans l’espace architectural donné.

Cette voie de la banalisation extrême du décor vitré, allant bien souvent jusqu’à une volonté totale d’absence de conscience de la perception de l’œuvre, suscita un mouvement de réaction de la part des maîtres d’ouvrage. Sans pour autant que les vitraux ne devinssent les pièces maîtresses de l’édifice, la recherche d’une œuvre susceptible de contribuer au développement du caractère propre de l’architecture, de renforcer ce caractère, fut la préoccupation de la période qui suivra, jusqu’à la fin des années 1970. Afin d’éviter que l’aspect artisanal qui prévalait ne restât prédominant dans ces nouvelles commandes, afin également d’ouvrir l’art du vitrail aux expressions d’artistes non verriers, on fit appel à la collaboration de peintres contemporains importants.

Chagall, Villon, Bazaine, Matisse, Ubac feront réaliser dans ces ateliers traditionnels des projets porteurs de leurs idées et de leurs sensibilités. Les techniques d’expression dont ils disposèrent restaient cependant circonscrites aux moyens habituels en usage. Les travaux de transcription furent donc exécutés de manière très inégale, selon les collaborations et la capacité des artistes à intégrer les contraintes d’atelier qui leur étaient très extérieures, et à s’accommoder de savoir-faire hérités des structures d’ateliers du XIXe siècle, souvent très inadaptés à leurs propos.

Les réalisations de cette époque montrent bien la difficulté de trouver un équilibre entre les besoins d’une écriture contemporaine et des moyens d’expression relativement restreints et uniformisés. L’appel aux peintres a sans doute produit des œuvres remarquables, mais en laissant toujours le sentiment de la limitation des moyens auxquels ils furent soumis, de l’étroitesse de la marge de manœuvre créative au sein d’ateliers peu adaptés aux besoins de la création contemporaine.

À partir des années 80

De nouvelles générations de verriers, sortis des écoles d’art ou d’arts appliqués, vont développer des recherches formelles et techniques en décalage des pratiques d’atelier. Il s’agit de la deuxième grande rupture, cette fois sur fond d’innovation technique, qui va permettre de reposer la question des moyens de la création et de participer à une véritable rénovation du domaine, inspiratrice de nouvelles formes de travail et de conception de l’œuvre.

Les premières voies explorées seront celles tracées, entre autres, par le mouvement « new glass », « verre nouveau », que l’on voit apparaître vers les années 60 et qui désigne le travail créatif personnel avec le verre, à froid comme à chaud, lequel se détourne résolument de l’artisanat comme facteur dominant. Ainsi se diffusent lentement dans le monde du vitrail des techniques nouvelles du travail du verre : thermoformage, collages, gravure, peinture à l’émail sur glaces, etc.

Louis-René Petit ouvrira la voie des recherches sur l’utilisation des verres industriels pour répondre à des commandes de création. Ses travaux dans les usines de trempe de Saint-Gobain lui permettront de cuire des sulfures, oxydes et émaux sur des plateaux de verre float de plusieurs mètres carrés en un seul volume. Chacune de ses colorations sur verre, à la manière d’un aquarelliste, va chercher la qualité des matières pour fixer la lumière dans son rapport avec l’espace réel et immatériel du lieu. Débarrassé de la plombure, le support des grandes glaces permet une composition sans graphisme obligé, laissant une totale liberté au jeu pictural, avec toute l’étendue des subtilités apportées par la lumière sur les lavis de substances métalliques.

Udo Zembok fut, lui aussi, l’un des premiers à se défaire de l’assemblage au plomb des verres de couleur. Dès 1976, il met au point une technique de collage transparent des feuilles de verre soufflé sur des glaces, qui lui permet de travailler avec les phénomènes optiques, projection, réfraction, et de les associer intégralement à sa composition. Son sens de la coloration et des accords majeurs donne à l’atmosphère lumineuse qu’il crée une dimension émotionnelle puissante. L’organisation de l’espace tient pour lui un rôle important et témoigne d’une conscience des relations profondes qui relient l’esprit et la nature. L’idée d’une métamorphose des éléments repose sur une conception globale du vivant. Depuis le sable jusqu’à l’espace de lumière, c’est le même principe de continuité qui est mis en œuvre.

Cette large ouverture aux techniques verrières va également s’accompagner, au cours de la dernière décennie du siècle, d’une ouverture aux projets de créateurs n’ayant aucune formation dans les techniques du verre, mais dont la démarche globale apporte une réelle contribution au renouvellement des expressions de la lumière dans l’espace architectural.

Par ailleurs, l’idée semble acquise qu’il faille plus volontiers faire appel à un seul artiste pour concevoir l’ensemble des baies d’un édifice. Les chances d’obtenir une écriture plus homogène, susceptible de s’harmoniser avec le lieu, ont paru plus grandes. La création des vitraux pour la cathédrale de Nevers est le dernier grand chantier de composition à plusieurs voix qui s’est achevé au XXe siècle, mais il était le fruit d’une commande qui remontait à plus de trente ans. Ricardon à l’abbaye d’Acey, Garouste à l’église Notre-Dame de Talant, Viallat à l’église Notre-Dame-des-Sablons d’Aigues-Mortes, Lardeur à Matha, confirment assez bien cette nouvelle conviction de la capacité d’artistes à donner une réponse personnelle adaptée à des architectures puissantes, à interpréter singulièrement dans l’espace le langage créatif de la lumière.

Ceci conduira à l’émergence de nouvelles formes de travail en réseau, alliant connaissances techniques et compétences artistiques, dans des ateliers qui vont se spécialiser pour la conduite de chantiers de création au service d’artistes et de maîtres d’ouvrage soucieux d’affirmer la valeur de la démarche artistique. Dans ces nouveaux ateliers, une étroite collaboration s’établit entre le concepteur et la maîtrise d’œuvre, de telle sorte que le projet artistique soit conduit au plus près de ses déterminations intrinsèques, et non plus « ajusté » aux moyens disponibles. Leur capacité d’intervention en font de véritables plates-formes d’innovation, susceptibles aussi bien d’assurer toutes les tâches d’une maîtrise d’œuvre complexe, que d’intégrer la démarche de l’artiste, d’effectuer la recherche des moyens techniques d’expression en conformité avec la nature propre de l’œuvre à interpréter. C’est une nouvelle vision synthétique de l’art du verre et de la lumière, selon laquelle les formes sont moins soumises aux nécessités d’une technique d’application, qu’aux exigences internes de l’œuvre, au message de l’énoncé voulu par l’artiste.

Le XXe siècle a été le siècle de l’innovation dans le domaine des produits verriers. Si le vitrail s’est largement ouvert à ces nouvelles techniques qui lui ont permis de renouveler les moyens d’expression des créateurs, son avenir se dessine dans un nouveau champ expérimental appliqué à l’architecture contemporaine : bâtir un langage créatif du verre et de la lumière où s’affirme la prééminence de l’art sur les moyens de mise en œuvre.